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Au crépuscule d'une nouvelle ère

J’aime rester debout à la fenêtre ces soirs d’hiver

Où les flocons déferlent comme une armée sur notre monde de pierre.

Je dis de pierre, mais c’est l’ciment qui constitue le coagulant de nos métropoles post-modernes.

Et le voile doucement descend d’un ciel immaculé devant nos regards ébahis,

Bien au chaud, recueillis, à l’intérieur du marbre gris.

Je proteste, je sais, c’est une tare, contre ces immenses placards

Qui protègent nos minuscules vies contre les intempéries.

Parce qu’aussi loin qu’porte mon regard, je ne vois que des nuances de gris.

Et pourtant j’habite bien plus haut que l’étage où les pigeons vont faire leur nid.

 

J’imagine que sous les boulevards et sous leurs trottoirs infinis,

Où traînent la misère et le brouillard du manque d’égards qui nous construit

Des tours, des amas de béton en vrac recouvrant tout et même le ciel,

Dont on ne voit plus guère que des bouts, entre les entrelacs d’étages

Qui toujours plus haut se chevauchent les uns les autres sur nos têtes

Supportant le poids de cette voûte, cette interminable autoroute

Symbole de l’orgueil souverain qui régit notre éternel besoin

De contrôle sur tout et sur rien, qu’on enferme au creux de nos mains,

J’espère que, sous ce tapis gris, il reste un semblant de cette vie

Dont nous faisions aussi partie, et qu’on a systématiquement  recouvert de mur aplatis.

 

Cette neige, c’est la nature qui nous répond, qui nous dit qu’malgré notre béton,

Qui a recouvert son horizon, elle n’a pas perdu sa raison.

Cette lutte de l’homme contre la nature pour caser sa progéniture

Et lui offrir une forme de survivance pour que sa technologie avance,

C’est manifestement, je pense, un idéal déchu d’avance.

Et ces flocons qui dansent, dans l’air carbonisé des villes,

Qui s’étendront bientôt sur tout l’espace de nos cinq îles,

Semblent imperturbables, éternels, toujours au rendez-vous annuel,

Comme un clin d’œil un peu cynique à nos fois anthropocentriques.

 

Si aujourd’hui encore des parcs fleurissent nos grandes cités de marques,

Il est à craindre que demain, les réaménagements de terrain

Favorisent la croissance des pierres et les plantes d’appartement

Au détriment des terrains verts qu’on remplace par des boîtes sous terre.

Et ces magnifiques statues, monuments que l’on s’évertue

A sculpter plus haut et plus grand au souvenir de ces géants

Dont les jambes fondées en ciment constituent sans doute l’effigie

De notre humaine vaine envie de dominer un monde qui nous a juste été prêté.

 

Que va devenir cette métropole unique, exo squelette de notre orgueil, couchée sur l’ancien monde éteint ?

Que reste-t-il de notre science, unique objet de nos consciences,

Lorsqu’insensés et ataviques, nous foulons le tombeau théorique d’une terre enterrée sous nos briques ? Voilà notre paradis perdu, reconstruit par nos saints déchus,

Avec ses plantes synthétiques, comme des statues de nature antique,

Une illusion artificielle de notre réalité détruite.

Mais sans oxygène, quelle éthique, des tubes greffés catalytiques

Reliant des organes en plastiques, et plus de sang dans nos artères,

Immobiles entre nos parois de pierre, prolongeant sans cesse l’essentiel

De notre vie artificielle, née d’une tentative téméraire de devenir dieu sur la terre

Au crépuscule d’une nouvelle ère.

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