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J'ai pas connu

J’ai pas connu la guerre, et son règne de la peur,

Ni ses bombardements, ni ses cris, ni ses pleurs.

J’ai pas connu le silence et son cortège de morts,

Juste après la bataille, quand on compte les corps.

J’ai pas connu la lutte pour un morceau de terrain

Qu’un autre veut te prendre alors qu’il t’appartient.

J’ai pas connu le pouvoir d’avoir au bout de ton flingue

Les visages terrifiés d’hommes arrachés d’leur fringues.

 

J’ai pas connu l’exil, pourchassé par des pions,

Pour une valeur fragile : liberté d’expression.

J’ai pas connu la fuite d’un pays maltraité

Pour sauver ma famille d’une mort prématurée

J’ai pas connu le sort de ces populations

Décimées par millions au nom d’une religion

J’ai pas connu le joug d’un système tyrannique :

Obéir ou mourir, au feu les hérétiques !

 

J’ai pas connu d’misère à coucher sous les ponts,

Avec en guise de lit rien qu’un vieux bout de carton.

J’ai pas connu la faim, qui déchire tes viscères

Et qui te laisse sans force la gueule dans la poussière.

J’ai pas connu l’besoin, contraint à supplier,

Agenouillé sur l’asphalte, quelques vieux sous rouillés.

J’ai pas connu la lèpre, la peste ou le choléra,

Ni leur dernier petit fils, qu’on appelle le SIDA.

 

J’ai pas connu l’effort pour pouvoir réussir,

Etre le meilleur est ton unique projet d’avenir.

J’ai pas connu la ruine, après autant d’efforts,

De perdre tout, d’un coup, par un sale coup du sort.

J’ai pas connu la gloire, ni son ami le stress,

A côtoyer les stars, poursuivi par la presse.

J’ai pas connu la drogue et son manque qui t’enchaîne,

Ni son visage livide sur l’trottoir où tu traînes.

 

J’ai pas connu l’extase d’une folie neurophage

Ni d’être inadapté socialement aux usages.

J’ai pas connu la mort, dont tu sens la présence

Et tu prie, en secret, qu’elle ait un peu de patience.

J’ai pas connu la honte de ces situations

Où le regard des autres te fuit sans compassion,

Comme si t’avais choisi d’être dans la merde à ce point,

Comme si c’était ta faute, qu’tu mérites c’que tu deviens.

 

C’est pas vraiment ma vie que je te raconte là

Puisque je te dis seulement tout ce que je ne connais pas.

J’vais pas t’dire qu’j’suis heureux, en plus tu m’croirais pas,

J’ai aussi des blessures, la vie ne m’épargne pas.

Mais puisque j’ai la chance de pas subir tout ça,

C’est normal que j’y pense en m’répétant tout bas,

Qu’ça aurait pu être moi, qu’ça peut toujours être moi,

Et en hurlant pourquoi ? C’est pas juste ? C’est quoi ça ?

J’dois être un peu naïf, mais j’avoue que j’comprends pas…

J’comprends pas…

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